La descente dans les moulins offre au glaciologue l'occasion de réaliser de formidables observations et prises d'échantillons dans des conditions favorables puisqu'il a en face de lui une coupe naturelle dans la profondeur du glacier.

Ainsi les observations concernent la structure du moulin dans l'espace, ce qui révèle la façon dont l'eau circule à l'intérieur de la masse du glacier. Cela permet d'apprécier des informations sur la direction des failles préexistantes qui sont aménagées par le courant d'eau, ainsi que les profondeurs auxquelles on peut encore rencontrer ces failles.

Alors que dans les Alpes les explorations se sont terminées vers 110 m de profondeur, ici au Groenland, la forte érosion résultant du débit très important de gigantesques bédières (30 à 40 m3/s en juillet), laisse espérer des profondeurs à explorer encore plus grandes que les 203 m atteints au cours de l'été 98 !

De même les conduits horizontaux qui évacuent ces débits doivent être beaucoup plus développés.

Ces explorations constituent un programme de recherche original car jusqu'ici :

- Un petit nombre de chercheurs seulement s'est intéressé à l'exploration des glaciers en profondeur en progressant dans les cavités initiées par les moulins.

- L'étude de la circulation de l'eau à l'intérieur des glaciers n'en est qu'à ses débuts, malgré l'intérêt pratique présenté par les captages d'eau glaciaires pour la production d'énergie électrique que ce soit dans les Alpes ou ailleurs car les mécanismes mis en jeu sont fondamentalement les mêmes malgré les différences de température de la glace.

La réalisation de ces programmes se déroule en parfaite collaboration entre les explorateurs sportifs (glacionautes) et les explorateurs scientifiques (glaciologues) étant donné l'aide et le besoin mutuel de ces deux groupes.

Les conditions des expéditions "INLANDSIS" permettent de réaliser non seulement des explorations pleines d'intérêts mais aussi l'expérimentation d'une méthodologie nouvelle d'échantillonnage et d'études des glaciers en profondeur.

Les missions glaciologiques effectuées depuis 1989 au cours des expéditions INLANDSIS nous ont convaincu sur les larges potentialités scientifiques encore inexplorées dans le domaine des cavités intra-glaciaires au Groenland.

Bien que les explorations des moulins commencent déjà à cerner un type probable de circulation de l'eau à l'intérieur de la masse glaciaire il reste encore à surmonter les obstacles parfois rencontrés au delà des 150 m, les siphons !

Les spéléologues qui vont cette année axer leurs efforts aussi sur cet obstacle devraient permettre de faire progresser sérieusement notre connaissance de la circulation cachée et sûrement horizontale...

C'est un challenge, dont les retombées seront très précieuses pour l'étude de la dynamique glaciaire, que ce soit pour les zones des marges de l'Inlandsis où à l'intérieur de nos glaciers alpins, car là, les applications pratiques (captage pour l'approvisionnement en eau potable ou à des fins hydroélectriques) sont importantes. Parallèlement on va aussi développer en 2002 toutes les manipulations ou récoltes d'échantillons que ces explorations permettent à l'intérieur du glacier : actuellement les développements se focalisent sur :

1) La nature des différentes glaces formant les parois, et notamment l'origine des glaces bleues actuellement attribuées au regel dans les crevasses. Cette partie sera faite en collaboration avec le Service Géologique du Groenland (G.C.V, Oservolgade 10, 1350 Copenhagen) qui veut connaître le pourcentage de cette glace dans ces échantillons de forage (analyse isotopique de l'oxygène).

2) En ce qui concerne le mécanisme de déformation du glacier on utilisera pour la première fois ces cavités naturelles forées en un été jusqu'à 203 mètres et au-delà pour y déterminer la loi de déformation de la glace sur le terrain.

En effet lorsqu'on désire effectuer la même expérience en laboratoire on est confronté aux difficiles problèmes de l'homogénéité des contraintes, déformations et températures, sur une éprouvette de quelques dm3. Alors qu'avec ce gigantesque échantillon (vide cette fois) que constitue le moulin, la nature nous offre des dimensions allant de 10 à 30 m de diamètre pour des efforts de cisaillement entre zéro et une dizaine de bars !

Au cours de l'été 98 la météo ne nous a pas accordé suffisamment de temps pour mener à bien ce type de mesure. Cependant nous avons pu mettre en place les dispositifs de mesure de déformation et de températures et en tester leur fonctionnement : aussi, au cours de l'été 2002, en disposant d'un mois sur place, de fin Septembre à fin Octobre, nous devrions obtenir de très bons résultats.

Pour ces mesures sur les parois du moulin, il faudra que les glacionautes nous prêtent leur concours pour équiper les différents sites. Dans ces conditions, il m'apparaît que l'adage "Le sport au service de la science", déjà responsable de la collaboration des spéléologues et des scientifiques des années passées, sera totalement mis en application au cours de l'expédition Inlandsis 2002 !

3) La morphologie karstique glaciaire et l'organisation du réseau au sein du glacier est un aspect très mal connu et très peu étudié malgré son rôle essentiel dans l'organisation de la circulation du formidable volume d'eau de fonte estivale groenlandais du sud-ouest, qui intéresse de plus en plus l'hydroélectricité. Aux nombreuses topographies déjà effectuées durant les 12 dernières expéditions, s'ajouteront celles de 2002 afin d'alimenter la classification commencée de la morphologie de ces karsts glaciaires et de déterminer leur modelé de fabrication et leur évolution dans le temps.

4) Le rôle de ces réseaux de canalisation sub-, intra- et sous- glaciaires dans la manière et la rapidité d'évacuation de l'eau de fonte de l'Inlandsis vers la mer, effet de "regard ou de puisard" des moulins, importance des siphons dans l'équilibre du réseau hydraulique.

5) La déformation de la glace sur les parois des moulins lors leur fermeture lorsque l'eau disparaît est une opération impossible à réaliser en laboratoire et inédite sur le terrain. Cette opération adaptée aux techniques de spéléologie glaciaire et confirmée "opérationnelle" dans les expéditions précédentes sera le point fort en 2002 et d'une importance capitale en glaciologie. Des mesures de températures des différentes sections déjà équipées pour la déformation seront effectuées en parallèle, la déformation étant variable en fonction de la température de la glace.

6) La cristallographie de la glace aux abords de l'espace plus ou moins cylindrique du moulin par carottages horizontaux et analyse de l'orientation des cristaux sur une lame mince de glace découpée, afin de connaître leur mode de fabrication et de déformation, ces cristaux aux abords du moulin étant très sollicités lors de la fermeture.

Opération de terrain : Détermination des fabriques

. But : caractérisation de l'état de cristallisation de la glace comportant, - la taille des cristaux

- l'orientation des axes optiques

. Matériel : platine universelle LGGE (Caisse de transport : dimensions...

poids... (Paul Duval)

- plaque de verre

- plaques Polaroïds

- scie, papier de verre

- carottier : perceuse rechargeable + outil carottier (M.Pourchet)

- Matériel photographique

Nota : cette étape doit donner de belles illustrations très pédagogiques : les couleurs obtenues sont particulièrement expressives.

7) Les différentes glaces rencontrées de la surface jusqu'en profondeur, récupérées par échantillons et analysées chimiquement en France au LGGE, afin de déterminer les natures et les origines des glaces bleues et blanches rencontrées qui demeurent mal connues et d'établir un recensement du pourcentage des différentes glaces rencontrées dans l'Inlandsis.

Opération de terrain :

- Prélèvements d'échantillons de glace pour analyses des bandes bleues et blanches, de surface ou en profondeur :

- Environs 20 échantillons de 0 à 180 m pour déterminer la nature et l'origine de ces différentes glaces.

- Enfin la cartographie des parois du moulin pour l'évaluation du % de bandes bleues en surface et, de la, la proportion dans la masse du glacier

8) La concentration des éléments radioactifs sur 30 km de bordure de l'Inlandsis, par prises d'échantillons et analyses chimiques en France au LGGE.

Opération sur le terrain :

- profil d'échantillonnage pour déterminer la concentration des éléments radioactifs en surface : sur la cryoconite contenue dans les petits trous et non sur les grosses accumulations, ceci sur une trentaine de km entre le moulin M1 et la bordure de l'Inlandsis - hélicoptère disponible ? ou à pied à partir de M1, puis récupération par hélicoptère au retour (échantillons pour M.Pourchet, LGGE)

A cette recherche initiale, il faut ajouter, si on dispose de moyens adéquats (transport héliporté) une étude de la radioactivité (naturelle + anthropique) contenue dans les limons de la cryoconite (poussières noires, particules organiques et végétales piégées dans les trous de la surface).

Intérêts :

Cela constituerait une archive cumulée du centre vers le bord des éléments radioactifs présents dans la glace et à la surface.

Ainsi en prélevant tous les 10 km depuis le bord jusque vers le sommet à 500 km à l'intérieur, on disposerait d'un échantillonnage des dépôts récents jusqu'aux dépôts d'il y a 100.000 ans ou plus.

En naviguant avec le système GPS, l'hélicoptère peut nous permettre d'échantillonner une cinquantaine de fois

Temps : 50 fois 5 mn = 250 mn = 4h10 mn.

+ 500 km à 250km/h (aller) = 2 h

+ 500 km à 250 km/h (retour) = 2,5 h

Ceci représente un temps assez important, environ 9 h d'hélicoptère. Il faudrait disposer d'un petit hélicoptère type Bell à 3 places + le pilote (5 000 F/h environ, 45 KF d'hélicoptère).

Cette manipulation n'a jamais encore pu se faire, à cause et du prix et des conditions de disponibilités, mais ce serait une bonne occasion, et une bonne manipulation scientifique.

Les chercheurs qui au LGGE se chargeraient des analyses et des échantillonnages sont : Michel POURCHET et Francis PINGLOT

On pourrait établir ainsi sur plusieurs milliers d'années l'activité de la radioactivité naturelle et ce dernier siècle, celle d'origine humaine.

CONCLUSIONS Programme GLACIOLOGIE

Toutes ces observations et mesures et cartographies sont l'objet d'une Recherche post-doctorale portant sur les "relations entre l'hydrologie et la dynamique glaciaire", Luc MOREAU, Glaciologue, Consultant pour la société Hydroélectrique d'Emosson.

Ces manipulations permettront de confirmer ou non le calcul théorique de la loi de déformation, sujet d'étude au Laboratoire de Glaciologie de Grenoble.

Ces opérations seront à même de résoudre de nombreux problèmes auquel l'homme est confronté dans toutes les activités techniques qui utilisent la déformation due aux formes cylindriques de la glace (activités industrielles cryogéniques, infrastructures ancrées dans la glace, carottages glaciologiques, etc...)

Louis REYNAUD, Luc MOREAU, glaciologues.