la
différence de la banquise qui flotte sur la mer,
l'Inlandsis est une calotte glaciaire continentale qui repose
sur un socle terrestre : le Groenland. C'est une étendue
grande comme cinq fois la France et dont l'épaisseur
peut atteindre plus de 3000 mètres. L'énorme
pression hydrostatique exercée à sa base provoque
une déformation des cristaux de glace qui, se propageant
entre les différentes couches provoquent un une déformation
d'ensemble et un déplacement rayonnant vers les bords
de la calotte ou le glissement d'ensemble prend le relais.
A certain endroit où les glaciers convergent, où
les vallées se resserrent, certaines vitesses d'écoulement
atteignent vers la mer jusqu'à 30 mètres par
jour.
Les habitants du Groenland, les Inuits, vivent sur l'étroite
bande littorale ceinturant l'Inlandsis, près de la
mer qui leur apporte la nourriture. Ils ne s'y aventurent
pas.
Semblant
figé, ce continent glacé est en fait animé
de quelques symptômes de vie, comme un corps en hibernation
vivant au ralenti : il craque et progresse lentement vers
la mer où en se brisant il donne naissance aux icebergs…
Timidement
réchauffé par les rayons rasants du soleil
polaire pendant deux mois, le grand corps s'anime et va
muer. Son épiderme, en fondant, creuse et irrigue
des veines de glace, des bédières, qui le
parcourent en surface sur plusieurs kilomètres avant
de s'engouffrer dans la première crevasse venue.
L'eau de fonte creuse un puits vertical, "le moulin",
puis s'assagit et modèle dans la glace des galeries,
des cascades, des vasques, des conduits. Tout ceci est éphémère
car bientôt l'hiver revient tarissant le débit
et emprisonnant le réseau dans une gangue de froid.
Remplacé
parfois seulement l'année suivante par une nouvelle
crevasse, l'ancien moulin devient fossile et disparaît
doucement un ou deux ans plus tard en dérivant lentement
vers l'aval.
L'exploration
sous-glaciaire permet d'ouvrir un nouveau domaine de la
connaissance de l'homme, celui des profondeurs glaciaires.
Plus qu'une aventure dans un milieu connu d'avance, il s'agit
d'une exploration à l'état brut, avec les
interrogations et l'excitation fantastique que procure la
découverte d'un monde nouveau: "quelque chose
de vrai, de pur et dur", avec frissons à la
clef.
Vestige
des grandes périodes glaciaires qui ont traversé
et modelé notre planète, l'Inlandsis contient
emprisonné sous des milliards de tonnes de glace
une partie de la mémoire de la terre : les couches
les plus profondes sont en effet vieilles de plus de 250.000
ans.
Les
travaux scientifiques, difficiles compte tenu des conditions
climatiques et d'isolement extrême, n'ont permis jusqu'à
maintenant que des études de surface et il reste
encore beaucoup à apprendre sur cet univers.
Avoir
pu pénétrer à l'intérieur de
la calotte glaciaire pour y faire des topographies, des
relevés et des prélèvements constituent
une première scientifique d'un intérêt
considérable pour les glaciologues. Elle permet de
comprendre les mouvements existants à l'intérieur
de l'Inlandsis.
L'analyse
sophistiquée des poussières, des spores et
des bactéries emprisonnées depuis des centaines
d'années dans la glace permettra de lire dans la
mémoire du temps et apportera d'inestimables renseignements
sur les climats et l'histoire de notre Terre.
Jean-Philippe
ASTRUC, médecin, membre des expéditions 90-91-92-93